Une filiation inattendue. Au côté du Quatuor de Maurice Ravel, on a depuis longtemps pris l'habitude de trouver le Quatuor de Claude Debussy. C'est pour un tout autre couplage que le Quatuor Tchalik a opté. Attaché à la fois au grand répertoire et curieux de partitions plus rares, la jeune formation signe un nouvel enregistrement à son image, qui associe le "Quatuor en fa" du français aux "Quatuors nos 2 et 3" de l'ukrainien Boris Lyatoshynsky (1895-1968), une manière aussi pour les quatre jeunes archets de renouer avec leurs racines familiales. Créé à Paris en 1904, le Quatuor de Ravel (1875-1937) fut joué en Russie à partir de la fin de la première décennie du siècle dernier et le jeune Lyatoshynsky, attentif aux plus récentes évolutions de son art, ne fut pas sans avoir connaissance de la musique de son aîné de vingt ans. Comme le souligne la musicologue Tatjana Fumkis, « dans le Deuxième Quatuor (1922), on assiste à une interpénétration des traits des modernismes français et ukrainiens caractéristiques du début du 20e siècle, les slavismes de Lyatoshynsky sont passés au prisme de Ravel ». « Une filiation inattendue apparaît entre les deux compositeurs, remarque pour sa part le Quatuor Tchalik, ce qui vient éclairer d'un jour nouveau une oeuvre déjà très présente au disque, et prouve qu'il est possible d'attaquer le Quatuor de Ravel sous l'angle d'une expressivité fauve, plutôt que celui devenu presque routinier de la couleur à travers le couplage avec le Quatuor de Debussy. » Quant au Troisième Quatuor de Boris Lyatoshynsky, sous-titré Suite, il s'inscrit dans la filiation de la Suite lyrique de Berg. De 1928, son élaboration se situe au terme d'une période extrêmement florissante pour la musique ukrainienne à laquelle l'irruption du stalinisme devait mettre fin.
Diapason nº 736 p.88 du 20/09/2024, noté 5/5